L'histoire   D'Eglantine

Entre Gilbert et moi, ça va faire 7 ans.

 

7 ans que, clouée par terre par des nausées incontrôlables et des douleurs qui montaient du ventre à la gorge, mon médecin, affolé, a cru à une hépatite mais s’est vite rassuré avec les résultats de la prise de sang : « C’est juste un syndrome de Gilbert ». Pas d’explication dessus, rien.

Donc Gilbert, c’est moins grave qu’une hépatite. Personne n’en meurt, ce n’est pas une maladie dégénérative, pas besoin de traitement, de greffe rien. Une maladie bénigne.

Avec en plus un nom ridicule : parce qu’on ne va pas se mentir, dire qu’on est atteinte d’un syndrome de Gilbert, je suis la première à trouver ça hyper marrant.

 

Ca, c’est la théorie. En pratique, c’est plus complexe : les crises se déclenchent n’importe où, à n’importe quel moment. Aucun facteur n’est identifié. Rien ne soulage ces crises, jamais. Les médecins ne savent pas quoi vous dire, à part « d’attendre que ça passe » (parce qu’on l’a déjà dit et redit : c’est une maladie bénigne donc ça va, on va pas non plus déclencher un plan vigi-pirate pour chaque crise, hein), d’éviter le stress (mais quelle idée d’être stressée, aussi), et les aliments gras. « Mais sinon vous savez, Gilbert c’est bénin, y’a pas grand-chose à faire. »

Concrètement, les crises chez moi durent une dizaine de jours, pendant lesquels j’ai la nausée en permanence (ce qui me vaut régulièrement la super blague de mon médecin « ben alors, vous êtes enceinte ? » que je ne trouvais pas hilarante les 2 premières fois, et ça ne s’arrange pas avec le temps), un mal de ventre – foie – jusqu’à la glotte qui me donne juste envie de me rouler par terre, et une fatigue comparable à celle que j’ai ressentie quand j’ai eu la mononucléose : en gros franchir les 3 mètres entre mon canapé et mon lit devient une épreuve très difficile.

 

J’ai testé beaucoup de choses, pour que Gilbert me lâche : j’ai arrêté les aliments gras. Les crises ont redoublé. J’ai arrêté l’alcool. Les crises ont redoublé. Je suis donc partie du principe que ce n’était ni l’alimentation, ni l’alcool. L’acupuncture, la relaxation…rien ne marche.

Vivre avec Gilbert, ça veut dire qu’il faut vous attendre en permanence à ce qu’une crise vous tombe dessus, même quand c’est pas franchement le moment et que vous aimeriez bien pouvoir profiter et qu’on vous foute la paix : en week-end avec des potes (vécu 3 fois), à une fête de famille (vécu 2 fois), en vacances (vécu 3 fois), pendant un rencard (vécu 4 fois), pendant une réunion où vous devez faire une présentation (vécu 3 fois).

 

Ce qui est particulièrement vicieux avec ce syndrome, c’est qu’il vous laisse tranquille assez longtemps pour oublier qu’il existe. Et puis, un jour, sans crier gare, il débarque : « alors ? On vient pas dire bonjour à son tonton Gilbert ? »

C’est comme une épée de Damoclès, mais pas vraiment sérieuse parce que ce n’est pas grave et que ça porte un nom de vieux tonton qui aime les blagues potaches et le rouge qui tache. On appelerait ça comment ? Un couteau en plastique de Gilbert ?

 

Je n’ai toujours pas trouvé comment vivre avec ce couteau en plastique, même si j’essaye de passer au 0 déchet. Alors, je me trimballe partout avec mon sac en plastique au cas où, mes antiémétiques, mes anti-douleurs, mes huiles essentielles.

J’attends qu’un jour, dans un cabinet médical, on ne blague pas sur une grossesse hypothétique, on ne me dise pas d’attendre quelques jours que ça se calme, et qu’on m’explique pourquoi ce couteau en plastique me suit partout. Il y a bien une poubelle de tri qui l’attend quelque part.

Eglantine